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Noureev met le feu au Lac

07 01 2020

Le 15 octobre 1964, l’Opéra de Vienne entra dans le Guinness des records : 89 rappels saluèrent la première du Lac des cygnes, mis en scène et chorégraphié par Rudolf Noureev, âgé de vingt-six ans, dansant le rôle principal aux côtés de Margot Fonteyn. En invitant le transfuge du Kirov à réaliser son premier Lac des cygnes, Aurel von Milloss, le directeur du Ballet de l’Opéra viennois réussissait un joli coup – au grand dam des autorités soviétiques qui auraient voulu empêcher Noureev de toucher à ce sommet du ballet classique russe.

Margot Fonteyn, qui avait pourtant invité Noureev à Londres en 1961, dès son passage à l’Ouest, hésita longuement avant d’accepter de danser avec ce jeune russe flamboyant alors qu’elle avait déjà plus de quarante ans. L’amitié et l’insistance de Noureev vint finalement à bout de ses hésitations. Il expliquait ainsi leur succès phénoménal : « Ce n’est pas elle, ce n’est pas moi, c’est le but que nous poursuivons ensemble ». Ils demeurèrent amis toute leur vie durant.

Noureev marque de son empreinte ce ballet en donnant à Siegfried un rôle égal à celui d’Odette. Cependant, comme l’on pouvait s’y attendre avec le danseur russe, il ne s’arrête pas là. Quand il entreprend sa propre version de l’ouvrage intégral, il étoffe chorégraphiquement le rôle du Prince et surtout développe sa psychologie par des fantasmes qui l’entraînent à sa perte, en courant éperdument après l’illusion d’une femme-cygne. Il créé ainsi un Lac des cygnes qui, contrairement aux mises en scènes précédentes, donne le Prince comme personnage-clef de l’action dramatique : d’abord triste, en proie au « spleen », puis amoureux, ensuite trompé et finissant anéanti. Le dénouement en effet ne saurait être que tragique : Rothbart déclenchant une terrible tempête qui engloutit Siegfried dans les flots.

Lorsqu’il est nommé directeur du ballet de l’Opéra de Paris, en 1983, il reprend le Lac des Cygnes qu’il avait commencé à transformer à Vienne pour en remanier considérablement l’intrigue et en faire un rêve du prince Siegfried. Il raconte : « Le Lac des cygnes est pour moi une longue rêverie du prince Siegfried. Celui-ci, nourri de lectures romantiques qui ont exalté son désir d’infini, refuse la réalité du pouvoir et du mariage que lui imposent son précepteur et sa mère. C’est lui qui, pour échapper au morne destin qu’on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du Lac, cet « ailleurs » auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête, avec l’interdit qu’il représente. Le cygne blanc est la femme intouchable. Le cygne noir en est le miroir inversé, tout comme le maléfique Rothbart est la transposition pervertie de Wolfgang, le précepteur. Aussi quand le rêve s’évanouit, la raison du prince ne saurait y survivre. »

Soucieux de chaque détail, il était également préoccupé par la santé des danseurs. Il légua d’ailleurs toute sa fortune à deux fondations destinées à aider les jeunes danseurs et promouvoir la médecine de la danse. C’est lui qui décida de faire appel à Harlequin pour concevoir un nouveau tapis de danse pour la scène et le studio. C’est ainsi qu’est né le tapis de danse Harlequin Studio qui est par ailleurs toujours en place à l’Opéra.

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